Quand la France succombe à l’art de vivre danois
On croyait la dolce vita réservée à nos voisins transalpins, mais c’était sans compter sur le soft power scandinave. Depuis quelques années, une petite philosophie de vie nordique, au nom imprononçable pour certains – Hygge (à prononcer « hou-ga ») – a conquis les cœurs hexagonaux. Un bon thé fumant, des chaussettes en laine, une bougie parfumée, et voilà que le quotidien devient doux et apaisé, presque poétique.
Mais pourquoi cette tendance trouve-t-elle autant d’écho en France ? Est-ce par fatigue du rythme métro-boulot-burnout ? Par besoin d’authenticité face au trop-plein de digital ? Ou simplement parce qu’on aime se faire du bien sans culpabiliser – avec goût, s’il vous plaît ? Décryptage d’une tendance qui a plus d’un plaid dans son sac.
Hygge : une philosophie à contre-courant de la productivité
Le hygge n’est pas juste une énième déco Pinterest à base de coussins moelleux et de mobilier en bouleau blond. C’est un véritable état d’esprit. Originaire du Danemark, l’un des pays les plus heureux au monde selon les classements internationaux (coïncidence ?), le hygge repose sur des piliers simples :
- Créer une atmosphère chaleureuse et accueillante chez soi
- Prenez le temps de savourer les petits plaisirs du quotidien
- Accorder de l’importance aux relations humaines et aux moments partagés
- Favoriser la simplicité au lieu de la surenchère matérielle
En bref, le hygge est un plaid mental. Il vous invite à ralentir – vraiment ralentir – pour réinvestir l’instant présent avec davantage de digestion émotionnelle (et de chocolat chaud). Et soyons honnêtes : qui en 2024 n’a pas envie de ralentir un coup ?
Pourquoi ça prend (aussi) en France ?
En France, on a toujours cultivé la lenteur : les longs repas du dimanche, les virées au marché, l’art de la sieste militante en été. Ce n’est donc pas un hasard si le hygge, cousin scandinave de notre art de vivre à la française, a trouvé si facilement sa place dans nos intérieurs.
Dès que l’hiver s’installe, on observe le même rituel partout : les guirlandes lumineuses envahissent les balcons, les bougies s’alignent en bataillon sur les étagères et les ventes de thé explosent. Sur Instagram, les hashtags #hygge et #cocooning font grimper les likes. C’est peut-être parce qu’au fond, on a tous un peu besoin de se construire un abri contre un monde qui va trop vite.
Et puis, soyons clairs : le hygge est tout sauf culpabilisant. Pas besoin de faire du yoga à 6h du matin ou de cuire son granola maison à la vapeur d’eucalyptus. Il suffit de s’autoriser à être bien, là, chez soi, en mode chill. Et ça, curieusement, ça résonne fort aujourd’hui.
Du cocooning à toutes les sauces
Le hygge a aussi contaminé notre langage : on ne parle plus d’isolement, mais de reconnexion à soi-même. On n’est pas seul sur le canapé, on est en mode slow life. Cette relecture positive du quotidien transforme nos petites habitudes en rituels bien-être.
Les marques l’ont bien compris. Le marketing « cocooning » explose : bougies en cire naturelle, plaids en alpaga, chaussons qui coûtent le prix d’un aller-retour à Oslo… Sans oublier les coffrets “hygge” tout prêts que l’on s’échange à Noël comme des mantras stylés. On mise sur le confort, mais aussi sur l’expérience sensorielle. Faire chauffer sa tisane devient un acte quasi spirituel. Flamber ses branches de sauge pour “purifier l’énergie” ? Totalement hygge. Et vaguement ésotérique aussi, me direz-vous… mais on ne juge pas.
Le hygge se fait une place dans notre déco
Si on pousse la porte de n’importe quel immeuble haussmannien, on verra souvent les mêmes éléments apparaître côté déco :
- Des matières douces : lin, laine bouclée, mohair
- Des tons neutres : beige, gris clair, blanc cassé
- Des lumières douces : guirlandes cosy, lampes à la lumière chaude
- Des objets qui racontent une histoire, type bougeoir chiné ou livre écorné
Le home sweet home devient le nouveau temple de l’intime. On fuit les ambiances cliniques ou trop modernes : vive le vintage qui rassure, l’imparfait qui réconforte. Dans une ère où tout semble instable, le cocon domestique s’impose comme refuge sacré.
Des influenceuses lifestyle aux manuels pratiques
La tendance ne s’est pas installée par magie. Elle a été largement portée par un virage éditorial et digital très net. Les rayons « lifestyle » de nos librairies regorgent d’ouvrages aux titres prometteurs : « Le livre du hygge », « L’art de vivre à la danoise » ou encore « Se créer un chez-soi apaisant ». Les influenceuses s’en donnent à cœur joie, partageant leurs routines cocooning dès septembre. Recettes de granola, DIY pour bougies maison et playlists « ambiance cheminée » tournent en boucle sur TikTok et YouTube.
Mais plus qu’une tendance éphémère, le hygge semble répondre à une vraie soif de rituel dans un monde où tout va trop vite. On cherche des repères, on revient au sensoriel, et on se découvre même des envies de tricot… Comme un retour au concret, au manuel, au simple.
Peut-on être hygge en pleine ville ?
Existe-t-il une version urbaine du hygge ? Oui, et heureusement. Car tout le monde n’a pas une cheminée en pierre ou un jardin en Normandie.
Être hygge à Paris, Lyon ou Toulouse, c’est aussi :
- Prendre le temps d’un bon petit-déjeuner maison avant d’attaquer ses mails
- Refuser une soirée de plus pour préférer un bain et un roman bien choisi
- Flâner dans une librairie indépendante plutôt que scroller sans fin
- Créer une ambiance tamisée dans son 25 m² grâce à deux guirlandes et une pile de coussins
C’est finalement être volontairement attentif à ce qui fait du bien, au micro-bonheur qu’on aurait oublié. Un pas de côté. Un ralentissement choisi.
Quand le confort devient militant
Dans un monde saturé de notifications, d’injonctions à être toujours « efficace » et d’agendas surbookés, choisir le confort devient presque un acte politique. Prendre soin de soi, refuser la performance constante, ne rien faire de productif un dimanche après-midi ? Presque subversif.
Le hygge, c’est peut-être ça : une autre façon de reprendre le pouvoir sur son quotidien. De dire non au stress ambiant. De faire le choix du sens, plutôt que de courir après une hypothétique optimisation.
Et si l’on craque pour une après-midi sous la couette avec biscuits faits maison et série norvégienne, eh bien, c’est peut-être là qu’on touche au vrai luxe – celui de pouvoir s’écouter.
Un futur plus doux ?
Le hygge s’inscrit dans une prise de conscience plus large : celle du « vivre mieux ». Ce mouvement résonne avec d’autres tendances comme le minimalisme, le zéro déchet ou la déconnexion numérique. Ensemble, ils redessinent les contours de notre manière de vivre, plus douce, plus ancrée, plus humaine.
Alors non, on ne vous demande pas de vous transformer en Viking contemplatif, ni de brûler votre agenda Google. Mais on peut, par petites touches, intégrer plus de pauses, plus de chaleur, plus de présence à ce que l’on fait. Sans en faire une religion, mais peut-être juste un moteur pour respirer plus souvent dans ce monde un peu trop rapide.
Finalement, le hygge… c’est un rappel à l’essentiel. Et entre nous, qui refuserait une bonne vieille soirée au coin du feu quand il pleut dehors ?